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Il y a quelques mois explosait ce que l’on appellerait très vite l’affaire Ubisoft : plusieurs cadres de la société, et non des moindres, sont accusés de harcèlements ou d’agressions sexuelles. Certains faits extrêmement graves sont reportés. Maxime Beland, vice président du groupe, Serge Hascoët, chief creative officer, Yannis Mallat, directeur des studios canadiens de la firme, ainsi que Tommy François, responsable d’Edition, sont écartés de la société. Cécile Cornet, alors directrice des Ressources humaines, quitte à son tour le groupe, soupçonnée d’avoir en quelque sorte « couvert » plusieurs des cadres visés par ces lourdes accusations. Quelques semaines plus tard, Ashraf Ismail, Directeur Créatif d’Assassin’s Creed, rejoint la liste des bannis, à priori pour des infidélités rendues publiques, mais Ubisoft se débarrassera de la patate chaude en invoquant une histoire assez tarabiscotée d’« emprise » sexuelle sur une fan énamourée. Le jeu vidéo tient enfin son « Meetoo », et l’on se dit qu’un abcès va pouvoir être crevé, surtout qu’un nom majeur est évoqué du bout des lèvres, celui d’un géant du jeu vidéo à la Française : Michel Ancel, père de Rayman et de Beyond Good & Evil, serait lui aussi impliqué dans l’« affaire Ubisoft », mais bénéficierait d’un « totem d’immunité » fourni par la direction du groupe.
Cette rumeur tenace se transforme presque en « teaser » d’un épisode 2 de l’affaire, comme son ultime drama. Alors que les bruits de couloir s’intensifient, Libération publie l’article « qui dit tout », comme s’il s’agissait de dévoiler le Watergate du jeu vidéo : Michel Ancel, le gars tellement sympa en interview, serait en fait un véritable tyran inconséquent avec ses collègues de travail. Nommé directeur artistique et de projet sur Wild et Beyond Good & Evil 2, Ancel changerait d’avis comme de chemise, n’hésitant pas à remettre en cause des semaines voire des mois de travail d’une simple phrase assassine (comme le Ganesh City de BGE 2, refait à 5 reprises). Pire encore, le Chevalier des Arts et des Lettres serait incapable de fournir une direction claire aux projets dont il a la charge. Cette ambiance délétère aurait poussé plusieurs salariés vers la sortie, épuisés par les volte face du créatif. Pour certains, c’est le burnout, voire la dépression. Les témoignages sont étayés, nombreux, et forcément implacables. L’enquête de Libé dresse le portrait d’un Michel Ancel chaotique, incapable de manager ou d’organiser un projet de l’envergure d’un BGE 2, et surtout manquant de la moindre empathie face aux difficultés de ses équipes.
Une autre impression subsiste aussi après lecture, comme un certain malaise : rien dans ce qui est rapporté ne semble relever du harcèlement dans son acception pénale, tout au plus d’une forme de management particulièrement toxique. Rien non plus ne concerne des délits sexuels, ces délits supposés qui sont pourtant au coeur de l’affaire Ubisoft. Pourquoi alors ces quelques allusions à la grande affaire « Meetoo » du jeu vidéo, la grande affaire Ubisoft, alors que les comportements décrits, bien que toxiques, n’ont absolument rien à voir avec ce qui a motivé le scandale d’il y a quelques mois ? Le rapprochement entre les deux affaires est ici d’autant plus sordide que l’article est publié quelques jours après que Michel Ancel ait annoncé sa retraite anticipée, comme si ce dernier avait « fui » avant que l’orage n’éclate. Tout concourt donc à faire de ces « révélations » un nouveau « drama », comme un point d’orgue à l’affaire Ubisoft, le Meetoo du jeu vidéo.
On se dit alors que si l’affaire Michel Ancel est grave à ce point, on devrait facilement trouver d’autres articles sur d’autres directeurs de projets jugés plus ou moins problématiques. Après tout, Neil Druckman, l’accoucheur de The Last of Us 2, a lui aussi été pointé du doigt pour ses techniques managériales à la dure, les « crunchs » impitoyables imposés aux équipes de devs, au point qu’une bonne partie du studio Naughty Dogs aurait préféré prendre la porte, remplacé par du sang frais et plus malléable. D’autres accusations de crunch ont aussi un temps visé Rockstar, le studio à l’origine des GTA. Mais non, mis à part un article général sur le crunch dans le JV, on ne trouvera pas un autre grand nom du secteur cloué au pilori pour ses mauvaises pratiques managériales. Et a vrai dire, si l’on devait faire un article sur chaque patron, petit chef ou directeur de projet médiocre et toxique d’une grande boîte (surtout dans le JV d’ailleurs), on pourrait sans doute en faire un bottin de news chaque semaine. Le sujet ne semble donc pas passionner particulièrement Libé, mais une exception est faite pour Ancel. Pourquoi ?
Bonjour Erwan, Marius, j’ai composé la musique de BGE1, Rayman Origin’s, Rayman Legend, actuellement celle de Wild et celle de BGE2. Etrange que mon point de vue ne compte pas pour une Enquête sur Michel Ancel…
— christophe heral (@christopheheral) September 26, 2020
Ce manque de substance « pénalement répréhensible » pourrait aussi expliquer pourquoi Libé semble forcer le trait : outre le ton accusatoire, on remarque l’absence de tout contradictoire, et surtout, le cherry-picking évident dans l’enregistrement des témoignages, ainsi que le fait d’ailleurs remarquer Christophe Heral, compositeur de la musique de BGE1, Rayman Origin’s, Rayman Legend, Wild ou BGE2, et surtout collaborateur proche de Michel Ancel. Ce dernier affirme ne pas avoir été contacté par les journalistes de Libé, qui n’ont pas cru bon aussi d’attendre les conclusions de l’enquête interne menée par Ubisoft, comme s’il était tout de même un peu plus « vendeur » de publier à tout prix l’article dans la foulée du départ d’Ancel.
Au final, la proximité avec l’affaire des délits sexuels chez Ubi et le traitement à charge de l’article donnent le sentiment que Libé s’est ici payé le scalp d’un géant du jeu vidéo en s’adossant sur un scandale d’une toute autre gravité, et sans aucune considération pour les dégâts que ce rapprochement (cet amalgame devrait-on dire) pourrait causer au principal concerné. A l’époque des mobs et du harcèlement en ligne massif, on décèle dans cette façon de faire, à tout le moins, comme un certain manquement d’éthique. Sans l’affaire des scandales sexuels chez Ubi, l' »affaire Ancel » aurait-elle VRAIMENT méritée un article aussi long et détaillé ? Dans l’un de ses derniers messages Instagram, Michel Ancel, visiblement touché, remarquait que chaque information est désormais traitée comme « un produit »; un produit toxique ?
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Celui qui dit le contraire n’en a jamais subi.