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Lancé comme un OVNI par une campagne de financement participatif, Blood Machines est le prolongement d’un clip techno-futuriste baigné de néon, Turbo Killer. Et si la S.F a ses propres codes au cinéma, des codes qui souvent finissent par fonctionner comme de véritables « prisons » thématiques (le soulèvement des machines, la fausse réalité-matrice, l’IA/robots tueurs, les combats spatiaux épiques, le contrôle de la société de type Black Mirror), il est permis de noter que Blood Machines n’en respecte strictement aucun, alors même qu’il est sans doute le film de S.F le plus référencé de l’ère moderne.
Il serait facile de limiter le métrage (court) de Seth Ickerman à un trip de S.F un brin barré servant d’outil promotionnel aux vagues de synthés de Carpenter Brut, le musicien français aujourd’hui le plus côté à l’international. A vrai dire, Blood Machines est effectivement un trip « brut », mais il est aussi un peu plus que cela. Déjà, son esthétique radicale et très maitrisée parvient à brasser large dans la culture S.F : le vaisseau organique du jeu vidéo Capitaine Blood ou d’Alien (la forme en U), le robot-femme de Metropolis, l’esthétique baroque et scintillante d’un Philippe Druillet, la femme vaisseau de Metal Hurlant, Blood Machines va puiser au coeur même de la S.F la plus à la marge, la plus « viscérale » aussi. Le film oppose et relie à la fois un univers de sensations pures et quasi organiques à la technologie la plus futuriste : l’IA assistante des deux pilotes s’incarne dans une femme-robot… qui est avant tout une femme sous une autre forme, le vaisseau alien saigne, accouche littéralement d’une jeune femme et bénéficie de la protection d’une tribu exclusivement composée de guerrières, et ce sont encore des femmes qui jaillissent nues des entrailles d’épaves spatiales. On frôle parfois l’essentialisation des genres, l’homme représentant l’aspect froid et cruel de la technologie face à des femmes ou « technologies femelles » hybrides et porteuses de sens (porteuses de vie ?), mais cette cristallisation des sexes n’interdit pas un renversement du pouvoir (représenté ici par la croix chrétienne renversée, clairement plus symbolique ici que gratuitement provocatrice).
Dans Blood Machines, ce sont en effet les femmes qui ont les cartes en main et qui décident de la marche à suivre du monde, les deux pilotes masculins étant seulement conviés à respecter cet autre féminin… ou à mourir. Pas de femmes victimes ou revendicatrices ici, mais des combattantes ultra résilientes qui n’hésitent pas à utiliser leurs charmes pour faire tomber les hommes comme des mouches, littéralement. Cette passation de pouvoir n’est en rien revancharde ou puritaine : le corps nu féminin, érotisé et surpuissant, s’expose ici sans pudeur et sans considération d’aucun « male gaze ». Le sexe et le désir fonctionnent ici comme un rempart hermétique à toutes les idéologies : le trip sensuel qu’est Blood Machines est un énorme pied de nez à toutes les théories fumeuses (hier d’origine religieuses, aujourd’hui SJW) qui font un lien entre l’exposition du corps des femmes (surtout érotisé) et les agressions sexuelles que ces dernières peuvent subir. Il n’y a rien de « sale » à montrer le corps géant nu et sublime d’une femme-vaisseau mère, rien de gênant ou de facile dans cette scène où le mouvement dansant de ces femmes nues permet de contrôler d’autres vaisseaux à distance. A cette époque d’inquisition morale où le moindre bout de peau dévoilé est interrogé eu égard à la place de la femme dans la société, Blood Machines nous répond avec le fantasme d’un futur totalement dégagé de ces lourdeurs d’analyse. Après tout, le méchant mâle qui dépassera les bornes peut toujours y être effacé d’un coup de laser, tandis que les plus « respectueux » (à l’instar du vieux pilote) pourront se joindre in fine à cette société matriarcale. Reposant.
Un homme toxique et cruel, qui ne semble pas comprendre ce qu’il « perd »
Ce choix d’un lore aussi sensuel que troublant est magnifié par une mise en scène efficace et soignée. La structure et la photographie très graphiques de chaque plan imposent l’organisation des scènes (pas de hors-champ ici), un peu comme dans un Comics animé, tandis que le montage serré et sans fioritures (le film est court) permet d’aller à l’essentiel tout en renforçant cette impression de trip permanent. On pense aussi au cinéma surréaliste de Guy Maddin sur certains plans et transitions de plans. Et bien sûr, il y a ces grandes nappes de synthés de Carpenter Brut, des nappes qui elles aussi fleurent bon les années 80-90, une époque où la liberté de l’individu primait sur l’hypersensibilité de chacun. Convenons-en : Blood Machines est bien avant tout un trip profondément sensualiste et sexy, mais en 2020, ce cocktail d’images, de musique et de sensations s’avère presque disruptif. Jouissif.
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